jeudi 21 mai 2015

Les sectes : Engagement ou manipulation ?

Comme derniers billets, nous vous proposons cette fois une suite de sujets plus éloignés de nos précédents billets. Nous vous démontrerons cette fois comment l’engagement d’un individu envers une secte se développe ? Par quels phénomènes et quels processus , les individus adhèrent-ils aux valeurs et aux pratiques prônées par la secte ? Cet engagement, souvent fort, de la part des personnes impliquées dans les sectes, étonne la plupart des individus lambda que nous sommes. C’est pourquoi nous vous proposons de rechercher différentes explications.
Pour ne prendre qu’un exemple parmi tant d’autres, intéressons nous à l’exemple malheureusement célèbre du Temple du Peuple :


Wong, N. (1977). Reverend Jim Jones at a protest in front of the International Hotel. [Photo]. Tiré de http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jim_Jones_in_front_of_the_International_Hotel.jpg

Le révérend Jim Jones fonde l'Eglise indépendante du Temple du peuple en 1953 à Indianapolis, aux Etats-Unis. Le leader charismatique prêche l'amitié entre les peuples, s'oppose au racisme ambiant, œuvre pour les démunis et attire rapidement les foules. Mais dans les années 70, son emprise sur les fidèles lui monte à la tête. Des rumeurs de viols et d'extorsions de fonds sur des membres de l'Eglise commencent à circuler et le contraignent à s'exiler au Guyana. Accompagné de près d'un millier d'adeptes, il y fonde Jonestown, une ville communautaire. Drogué et paranoïaque, il règne en despote sur les habitants. Léo Ryan, un député américain, est dépêché par le congrès des Etats-Unis pour s'assurer qu'aucun des membres n'est retenu contre son gré et ramener les éventuels adeptes qui voudraient quitter la communauté. Il se rend donc à Jonestown avec des journalistes et des familles inquiètes du sort des leurs. La visite se passe bien, mais, quand une douzaine de fidèles décide de repartir avec Ryan, Jim Jones ne le supporte pas et fait exécuter ses hôtes. Quelques heures plus tard, il ordonne le suicide collectif de tous ses disciples. Près de 1000 personnes se donnent la mort.

Comment cela est-il possible ?! Comment une aberration pareille a-t-elle pu se produire ?! Quels processus généraux sont à l’œuvre ? 

C’est ce que nous verrons dans cet article !

Nous allons principalement souligner 3 raisons qui susciteraient l'engagement chez les individus au sein-même des sectes.

Une des principales causes qui provoquerait l'engagement est le leadership des "gourous". Johnson (1979) parle de leadership charismatique. Les leaders adoptent différentes stratégies pour renforcer leur position et également réduire la précarité de celle-ci. La plupart de ces stratégies sont basées sur l'action sur des relations internes dans les groupe ou encore sur des relations du groupe avec l'environnement. Riggio (2012) précise que les leaders charismatiques sont de véritables experts de la communication, éloquents verbalement mais aussi capables de communiquer avec les adeptes profondément, à un niveau émotionnel. Le charisme est un processus - une interaction entre les qualités du leader charismatique, les adeptes et leurs besoins et une identification avec le leader et la situation qui demande l'arrivée d'un leader charismatique (un besoin de changement ou une crise).

La deuxième cause évoquée tiendrait compte d'une des premières théories de l'engagement mise en avant dans ce blog. Robert Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois (1987) propose un concept de psychologie sociale, la soumission librement consentie (compliance without pressure). Ce concept a été popularisé par Freedman et Fraser en 1966. Il explique le résultat d'une méthode de persuasion qui amène à fournir l'impression aux personnes concernées qu'ils sont les auteurs de certains choix. En agissant de la sorte, un individu pourrait ainsi transformer son comportement, ses objectifs et ses choix avec le sentiment d'être responsable de ces modifications. En effet, Kurt Lewin (1947, cité par Joule et Beauvois (1988)) va dans ce sens et développe que lorsqu’on souhaite obtenir d’autrui qu’il change ses représentations ou modifie ses attitudes, plutôt que d’opter pour une méthode qui se base sur la persuasion, il est souvent plus opérant de choisir une stratégie dite « comportementale ». Une de ces stratégies comportementales peut être par exemple, la technique du pied dans la porte, déjà longuement décrite. 

Pour terminer, basons nous sur une théorie provenant de la psychanalyse. En effet, selon Casoni & Brunet (2005), il y aurait la mise en place d'un processus d'idéalisation sur les adeptes et sur les leaders de certains groupes sectaires. Le processus d'idéalisation correspond à un processus psychique groupal dans lequel un individu s’engage lorsque, poussé par une identification narcissique, il confère à un leader, à un dogme, ou encore à un mouvement religieux ou politique l’essentiel de son amour pour lui-même ainsi que la majorité de ses projets et désirs. Le fonctionnement du Moi et du Surmoi du sujet est affaibli et ses capacités d’identification à autrui et de jugement moral tendent à diminuer.
Pour en revenir à notre exemple initial, cette théorie fournit une bonne explication au suicide collectif des adeptes du temple du peuple. Il survient que, face à l’incapacité à accomplir le paradis sur terre, un processus alambiqué de clivage/projection conduise leaders et adeptes à modifier le lieu du paradis vers un autre endroit chimérique. A la place de remettre en cause le leader ou la croyance, le groupe déplace l’endroit de la transcendance, par projection, soit sur une autre planète, soit dans une autre vie (l’exemple qui nous occupe) . De la même manière, le clivage facilite le maintien d’un sentiment de pureté au sein du groupe en expulsant sur des personnes ou sur un autre groupe des aspects qui ne peuvent être acceptés au sein même de la secte (désirs inassouvis, hostilité envers le leader, conflits entre les membres, besoins jugés inacceptables, etc.). Ces éléments constitutifs de la vie humaine lorsqu’ils sont perçus comme importuns sont niés comme réalités individuelles ou groupales pour être attribués à d’autres.

Pour conclure, par ses capacités individuelles, le leader est capable de faire adhérer les individus à ses idées. Il agit sur le groupe, l’environnement Les adeptes gardent bien souvent l'impression d'avoir agi de leur plein gré. De plus, il faut prendre en compte que le leader répond à des besoins précis liés à la situation des individus mais aussi des besoins psychiques (idéalisation, reconnaissance,...). La vulnérabilité à un moment donné des individus, peut également jouer sur le processus d'engagement et d'adhésion à la secte.

Bibliographie :
- Casoni, D. & Brunet, L. (2005). « Processus groupal d'idéalisation et violence sectaire ». Déviance et Société 1/2005 (Vol. 29) , p. 75-88
- Johnson, P. (1979). Dilemmas of Charismatic Leadership: The Case of the People's Temple. Sociology of Religion (40(4): 315-323.
- Joule, R.V. & Beauvois, J.L. (1988). « La psychologie de la soumission ». Revue La Recherche, n° 202, Septembre 1988.
-Joule, R.V. & Beauvois, J.L. (1987). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Editions Presses Universitaires de Grenoble.
- Riggio, R. (2012). What Is Charisma and Charismatic Leadership?. En ligne sur https://www.psychologytoday.com/blog/cutting-edge-leadership/201210/what-is-charisma-and-charismatic-leadership

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