lundi 2 mars 2015

Vous souhaitez susciter l'engagement chez vos employés sans leur mettre trop de pression ? Proposez un salaire faible !

Derrière ce titre accrocheur, nous souhaitons briser les codes et les idées reçues à propos de l’engagement. Comment pourrait-on envisager qu'une quantité plus importante d'argent engage moins les individus car elle leur met plus de pression ? C'est ce que nous allons montrer.
Le mot "engagement" évoque indubitablement en chacun et chacune de nous des images, des représentations. Certains y verront l’engagement à l’armée, d’autres dans le mariage. Plus largement, l’engagement est aussi la volonté d’être donneur de sang, de consommer de manière responsable, ou équitable, ou encore même d’être végétarien. Notre vie entière est ponctuée d’engagements que l’on prend en fonction de certains idéaux, d’une certaine manière de vivre dont on défend la valeur ou les valeurs.
 Vikne, E.(2011). Engagement rings.[Photographie]. Tiré de http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Engagement_rings_777.jpg


Lorsque l’on prend un engagement, une obligation naît en nous face à nos actes, notre comportement. Par exemple, si je défends le don de sang, je dois donc donner du sang. Si je suis pour la consommation responsable, je dois éviter de gâcher des produits, trier mes déchets, etc.    
Mais il arrive qu’un acte que nous faisons ne correspond pas à cet idéal que nous nous sommes fixés. On parlera alors de dissonance cognitive. La théorie de la dissonance cognitive repose sur l'hypothèse que les individus cherchent une cohérence entre leurs attentes et leur vie effective. Participe à cet effort la recherche d'une diminution de la dissonance par un rapprochement des cognitions et des actions. Cet ajustement permet une diminution de la tension psychologique et du désarroi. Pour fournir un exemple concret , une grande majorité d’entre nous a déjà été confronté à l’idée de commencer un régime. L’attitude équivaut à  : « Je vais commencer un régime et je dois éviter les aliments gras ». Le comportement se traduirait par : manger un beignet ou un autre aliment gras.

La diminution de la dissonance peut alors s’obtenir de trois manières différentes :       

1) Changement du comportement/de la cognition et respect de l'attitude. Par exemple : arrêter de manger des beignets.               
2) Justifier un comportement/une cognition en aménageant la cognition conflictuelle. Par exemple : « Je suis autorisé à tricher de temps en temps ».   
3) Justifier son comportement/sa cognition en ajoutant de nouvelles cognitions. Par exemple : « Je ferai 30 minutes de plus à la gym, pour compenser ».

Une théorie a été établie dans les années 1960 par les psychologues sociaux Kiesler & Sakumura (1966). Kiesler et Sakumura sont les premiers auteurs à donner une définition de la psychologie de l'engagement. Ils la définissent comme « le lien qui relie l'individu à ses actes comportementaux ». À travers ce lien, la personne est engagée par son acte. La théorie décrit le rôle de l’engagement dans les changements d’attitude et la résistance à ces changements.

Par ailleurs, Kiesler & Sakumura proposent que l’engagement a pour effet de rendre les actes moins modifiables (et donc la personne aura plus tendance à changer son attitude).  Si l’acte est cohérent avec le système de croyances de l’individu, alors l’engagement rend la personne encore plus résistante au changement dans ses croyances. La personne modifiera plus facilement ses actes que son attitude. Un exemple bien connu de la guerre 40-45 est Dietrich Von Choltitz qui en reconnaissant la guerre perdue pour son camp et pour s’aménager son avenir de futur prisonnier va refuser de brûler Paris et va se livrer aux Alliés. En se faisant, il modifie ses actes pour les faire correspondre à ses croyances.             

Si l’acte n’est pas cohérent avec le système de croyances de l’individu, alors l’engagement mènera la personne à changer ses croyances, son attitude, plutôt que ses actes. Par exemple, si je suis pour le respect de la nature et que je viens de jeter un papier à terre alors dans le cas présent je laisse mon papier à terre en me disant qu’il n’est pas constitué de plastique et qu’il sera vite dégradé par la nature.

Dans les deux cas, une cohérence plus forte est le but de l’individu. Plus l’engagement est grand, plus l’effet produit sera grand, et les actes de la personne seront de moins en moins modifiables. De plus, deux grands facteurs ont une influence importante sur l’engagement. Le premier est le choix perçu : à quel point la personne a l’impression qu’elle choisit librement ses actes. Le second est la pression extérieure : plus la pression extérieure sera importante, moins la personne aura l’impression qu’elle est libre de son choix.


Partant de là, une expérience psychologique a été menée par les deux chercheurs. Selon eux, s’ils demandaient à des gens de poser un acte cohérent avec leurs croyances, leurs attitudes habituelles, moins ils mettraient de pression extérieure sur ces gens, plus ceux-ci s’engageraient d’eux-mêmes. Ultérieurement, leurs attitudes se montreraient plus tenaces si on leur faisait passer un message contraire à cette attitude. L'engagement réduirait donc l'effet de la dissonance cognitive sur le changement d'attitude. 

L'expérience en tant que telle a été menée sur 42 personnes, étudiants en psychologie. L'expérience leur était présentée comme une enquête d'opinion dans le cadre d'un de leurs cours. 
Une série de 12 questions fut distribuée aux participants. Le thème du questionnaire était : "l'âge légal pour voter est mis à 18 ans" (il était alors de 21 ans aux Etats-Unis). Les sujets étaient interrogés pour savoir s'ils étaient pour ou contre cette diminution. Par la suite, on leur a demandé d'enregistrer un message audio sur le sujet. Les participants devaient exprimer leur avis sur le thème en s’identifiant par le nom. 

Un message contraire, qui s'opposait  donc à leur propre attitude, leur fut ensuite présenté. Et enfin, on les sollicitait pour savoir s’ils avaient toujours la même opinion sur le sujet.  

Les participants à l’étude ont été répartis en trois groupes. Dans le premier, on accentuait la pression extérieure en les payant 5$ pour se prêter à l’expérience. Dans le second, la pression était moins grande à travers un paiement d’1$ seulement. Dans le troisième, on ne proposait pas d’argent et on ne leur demandait pas d’enregistrer de message audio. Ainsi, on pouvait évaluer si les sujets changeaient d'attitude et si cela dépendait de la pression introduite par la récompense proposée. Pour évaluer l’effet de l’argent, on fait la même expérience avec un groupe contrôle et cette fois ils n'enregistraient pas de message audio. 
        
Les personnes qui reçoivent plus d'argent (5 $) ont sur eux une pression extérieure plus forte, que ceux qui en reçoivent moins (1 $). Ils sont donc moins engagés par l'acte consistant à énoncer leur attitude. Donc, selon la théorie de Kiesler et Sakumura, ceux qui reçoivent 5 $ auront moins tendance à changer d'attitude que ceux qui n'en reçoivent qu'un, qui eux résisteront mieux du fait de leur engagement plus important.  Les résultats confirment ces hypothèses.

Nous nous devons d'apporter quelques précisions quant au titre de l'article. En effet, vu les résultats de l'expérience, il apparaît qu'une somme d'argent plus faible suscite moins de pression et donc plus d'engagement pour les individus. Cependant, appliqué au monde du travail, d'autres facteurs peuvent intervenir comme la performance par exemple. Cela fera l'objet d'un autre article.
Cette étude n’en est qu’une parmi tant d’autres mais elle fait partie du fondement des théories de l’engagement. Dans un prochain billet, nous tenterons de vous expliquer comment se déroule la célèbre technique du pied dans la porte, bien connue des commerciaux en vente. En effet, n’avons-nous jamais vu une personne dans le besoin nous demander l’heure et ensuite nous demander quelques sous ? Nous vous décrirons les mécanismes de base de cette technique.

Bibliographie :

Kiesler, C & Sakumura, J. (1966). A test of a model for commitment. Journal of Personality and Social Psychology. P.349-353.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire